Le soleil pointa la bout de son nez. Non... plus précisément, c'est Harmonie qui pointa le bout de son nez hors de sa tanière, avant de se rendre compte que tout le monde dormait parmi ses patients. Autant se rendormir. Tout du moins c'est ce qu'elle aurait désiré. Mais les récents événements l'empêchaient de fermer l'oeil la nuit. Tout d'abord, ses propres camarades avaient hésité à la virer puis finalement, on avait convenu qu'elle avait encore sa place parmi eux car tout de même utile vu les temps de troubles qui s'annonçaient. N'oublions pas qu'une guerre avait éclaté entre les quatre Clans : la Rivière et l'Ombre contre le Tonnerre et le Vent.
Et pourtant, personne ou presque ne savait qu'elle attendait des petits. Alors que son ventre avait doublé de volume et que ses sautes d'humeur étaient de plus en plus fréquentes et violentes. Les malades hésitaient même à venir tant ils avaient peur. A vrai dire, elle craignait, au fond d'elle, pour cette progéniture qu'elle avait décidé de garder malgré l'interdiction. Après tout, qu'est-ce qu'elle en avait à foutre des règles ? Elle confierait sans doute au moins un chaton à Discorde, afin qu'un petit soit en lieu sûr, loin de cette guerre. Le plus fort irait avec son père, les autres resteraient sous la protection de leur mère. Et personne, non personne, ne doutait de la férocité et de la rage dont pouvait faire preuve Harmonie. Par le passé on avait tenté de la remettre dans le droit chemin. Celui qui s'était mis en avant avait reçu une belle cicatrice à son oeil et était reparti avec une oreille trouée.
Personne ne se mettrait en travers de son chemin.

Ce n'est que lorsqu'elle entendit des bruits de pas légers. Un apprenti sans doute. Ou une guerrière fine. Elle préféra en juger par ses yeux et avisa Nuage Aquatique assis au milieu de la clairière. Au moins il n'avait réveillé personne. Malgré tout, la guérisseuse restait froide et meurtrière. Elle n'était pas prête de laisser un jeunôt faire sa loi, surtout quand son père avait fait la sienne à sa manière. Au début certes elle l'avait pris en pitié, chaton persuadé d'avoir un paternel puissant. Elle avait proposé de lui révéler la vérité, à ce gosse. Mais comme d'habitude, on n'écoute pas la princesse des ténèbres... c'est dangereux naturellement. Alors elle avait gardé le silence, attendant l'occasion pour fondre sur le novice tel un aigle sur sa proie. Ce serait une ultime satisfaction.
Elle sortit de son repère, se plantant devant l'apprenti noir. Elle eut presque envie de rire en le voyant baisser sa petite tête avant de lui montrer sa patte tordue. L'entraînement avec Flamme Mélodieuse avait été pour le moins violent.

- Quoi ? Tu veux une invitation pour poser ton derrière dans une litière ? Reste pas planté là à gâcher la vue.

Sur ces paroles séches, la reine alla chercher un cataplasme et des graines de pavot. Elle prit seulement le stricte minimum, voulant peut-être inconsciemment le rendre plus blessé qu'il ne l'était déjà. Si au début elle avait compatis pour ce môme, était venu le jour où l'histoire de ses géniteurs l'avait dégoutée. Et le pire dans tout cela, c'est qu'elle n'avait pas eu l'occasion de lui dire. Alors oui, peut-être força-t-elle le jeu... tout en s'occupant de ses blessures et de sa patte qu'elle étendit et rétablit du mieux qu'elle pouvait, sachant qu'il faudrait des jours avant qu'elle ne se remette parfaitement en place.

- Mange ça, c'est pour la douleur... Dis-moi, t'as voulu faire un numéro d'acrobaties ? Se prendre pour un guerrier quand on est qu'un morveux. Qui essayes-tu d'imiter ?

Ses yeux restaient froids et sombres tandis que son ton apeurait sans doute le novice. Mais le fin fond de ses prunelles cachait une lueur mesquine et malveillante.

Tandis que le novice mangeait de bonne grâce les graines pavot, la guérisseuse s'éloigna afin de plonger dans une petite flaque d'eau des boules de mousses qu'elle distribua à ses patients, pour la plupart endormis fort heureusement.
L'apprenti au poil noir se mit à parler. Comme elle l'avait prédit, il avait tenté de faire le grand. S'était-il imaginé guerrier avant ses 10 lunes ? En fait... elle ignorait presque son âge et s'en foutait ouvertement. Les vies de ses congénères n'étaient que des crottes de renard insignifiantes sur son passage et qu'elle se devait de ramasser pour dégager de son chemin aux allures de tapis rouge merdique.
Un long soupir s'échappa de sa gueule. Elle était las de tous ces chatons ridicules qui se croyaient importants. Ils n'étaient que de la chair à canon, entraînées pour crever sur le champ de bataille, parfois pour une cause perdue d'avance. Aujourd'hui, c'était pour sa guerre que les jeunes apprenaient à se défendre, et que les guerriers surveillaient les frontières. Les tensions entre les Clans étaient assez importantes, mais la reine était sereine. Son Clan était fort, car peu affaibli par l'hiver précédent. Certes les chats avaient pu se refaire une santé, mais le Vent restait en infériorité numérique, et leur moral était au plus bas après la mort de Brise d'Automne. Ce crétin qui avait osé l'insulter et la prendre de haut. C'était sans doute son plus bel acte de vengance. A ce qu'elle avait entendu dire, les guerriers l'ayant retrouvé avaient été... choqués. Pauvre d'eux. Et ils ne s'étaient même pas imaginé qu'elle pouvait être derrière tout ça. En fait, ça lui faisait presque de la peine. Personne ne la croyait capable d'un tel acte... ignoraient-ils donc tout de sa cruauté ?
Les gens ne prennent pas les vrais monstres pour ce qu'ils sont...

Soudain, les paroles de Nuage Aquatique arrivèrent aux oreilles d'Harmonie, laquelle écarquilla tout d'abord les yeux avant d'afficher un sourire effroyable. Malheureux qu'il était, ce jour marquerait sa chute. Lui qui était sur son petit nuage allait faire une descente aux enfers, accompagné de leur reine légitime et impitoyable.
Ah il voulait être comme son père ? Attentionné n'était peut-être pas le mot qu'elle utiliserait pour lé décrire ?

Elle tourna la tête vers lui, effaçant toute émotion, les yeux presque compatissant.

- Où croist-tu qu'est ton père ? Il ne court pas dans les bois, cherchant à venger ta mère parce que... tu sais quoi ?

Harmonie des Enfers leva la tête, ouvrant la gueule comme pour dire quelque chose de doux. En plus, elle savait parfaitement maîtriser le visage de celle qui était douce. Personne n'y croyait certes, mais lui était si naïf...
Au dernier moment elle approcha sa truffe de celle du novice, le regard noir et glacial. Son ton se fit mauvais et pourtant si sérieux. Au premier abord. Sa seconde phrase se fit moqueuse. Ca la réjouissait de raconter cet épisode noir de la vie de ses parents. Le dernier épisode d'ailleurs.

- Je vais te dire la vérité. Tout le monde t'as menti. Ta mère était une traînée qui tomba amoureuse d'un chat du Clan des poisseux. Il la laissa tomber comme une peau de poisson et ton père le découvrit. Il la tua, elle et l'enfant qu'elle avait eu avec ce chat. Puis Coeur de Sang se tua. Ton père n'était pas un héros, c'était une brosse à merde ! Rêvant de devenir un jour un balai brosse tout doux. Tu parles d'une famille !

Crachant, elle s'éloigna, arrangeant les litières libres et enlevant les brindilles dans son antre. Elle savait que ses paroles choqueraient et s'en amusait. De toute façon, qu'est-ce qu'il pourrait bien lui faire, rejeton parasite d'un débile et d'une traînée ?

Le jeune apprenti fut d'abord choqué par les paroles bien cru de la guérisseuse. Puis finalement une grande colère l'envahit. Non mais pour qui elle se prenait celle-la ? Petite prétentieuse ! Guérisseuse sans courage ! Elle se cachait derrière son poste pour commetre les méfaits les plus atroces et ne pas participer au bataille. Alors de quel droit lui fesait elle la leçon ?! Il travaillait dur pour devenir un grand guerrier et alors qu'elle n'était qu'une chatte peureuse qui n'avait pas envie de combattre. Il déclara pas trop fort pour ne pas réveiller le autres :

- De quel droit ose-tu ? Tu n'es qu'une guérisseuse, peureuse et menteuse qui profite de son statut pour commettre des méfaits horribles. Tu me révulse et me dégoute. Et en plus tu ment mon père n'est pas mort il est seulement partis pour quelques temps. Et il n'a pas tué ma mère !

Malgré tout le doute subsistait. Et si son père avait bien tué sa mère ? La descente aux enfers de Nuage Aquatique venait de commençait. Et tout le monde savait que Harmonie des Enfers se ferait une joie de l'escortait.

Les yeux de la guérisseuse lançaient des éclairs. Elle sentait que la vie était injuste avec elle. Pour une fois qu'elle faisait un bonne action, on allait lui reprocher. Mentir à ce gosse était la pire chose à faire. Il n'aurait pas dû grandir en pensant que son père était un grand de ce monde. Il n'en était rien, tuer sa compagne et son enfant avant de se donner la mort, couvert de honte et sans honneur. Il n'y a aucun mérite à se jeter dans le vide, se noyer ou se faire écraser par un monstre, tas d'os écrasés et de sang. Une bouillie de chat ridiculement ignoble. Pourtant, elle n'avait jamais cherché à retrouver le cadavre. Ca en faisait un de moins. Et après son acte, personne ne voulait le revoir ou l'inhumer dans les règles. On le jugeait désormais coupable de trahison et de suicide. Tout ce qu'il méritait. En plus, il avait laissé comme boulet un fils qui le croyait vivant, sur les traces de la paix intérieure par la vengeance. Malheureux qu'il était.
Et maintenant qu'elle avait dit lé vérité, elle se faisait encore insulter. De peureuse, sans courage, faible et autres noms. Elle ne fit même pas la liste, sachant qu'elle pourrait casser ce microbe rien qu'en ouvrant la gueule sur un souffle amère.

De quel droit ? Comme il le disait, elle était guérisseuse, et on se s'oppose pas à une impératrice de toute façon. Il l'apprendrait à ses dépents.
A nouveau elle approcha sa truffe de lui, le regard mauvais. S'éloignant, elle prit deux petites baies rouge vif qu'elle plaça juste devant le novice.

- Toi comment oses-tu ? Tu te crois puissant ? Malin ? Tu n'es rien. C'est moi qui ai accouché ta mère. Moi peureuse ? Le Clan des Etoiles descendrait lui-même que je lui tiendrais tête. Un blaireau se pointrait devant toi que tu tremberais. Et si non, c'est que tu es con. Le mensonge, j'en suis experte. Ce que tu dis est un euphemisme. Je te révulse ? Tant mieux, je n'aspire qu'à ça, parce que toi aussi tu me dégoutes, misérable insecte insignifiant, tout juste bon à attraper un scarabée. Mais va ! Va demander aux anciens la vérité. Tu verras la lueur dans leurs yeux, et tu sauras qu'ils mentent. Parce que ton père fait honte à notre Clan.

Elle pointa du menton les baies, ses prunelles rivées dans celles de Nuage Aquatique. C'était une menace silencieuse. D'aucun savait qu'elle en gardait toujours en réserve, mais personne ne le disait. C'était une sorte de légende. La guérisseuse tueuse. Jadis elle avait tué comme ça, le meurtrier de ses parents. On ne l'avait pas jugée, on pensait que le mal avait emporté le malheureux. Aujourd'hui encore.
Et cette fois toujours, l'apprenti était blessé, ses plaies pouvaient s'infecter et le mal s'infiltrer par là. Sa mort ne serait pas une surprise dans ces conditions.
Silencieusement, elle lui fit comprendre qu'au moindre mouvement de révolte, d'agression, elle pouvait mettre fin à sa pitoyable vie grâce à ces petites choses qu'elle dissimulerait aisément dans d'autres plantes.
Sa vie était entre ses pattes.

Au fond Nuage Aquatique savait que la guérisseuse lui disait la vérité. Il avait toujours eu l'impression qu'on lui mentait. Hypothèse désormais confirmée. Il dit :

-J'aurais tellement envie de dire que tu mens, de t'insulter... Mais au fond je sais que tu dis la vérité... Mais... Comment le sais-tu ?

Mais alors que devait-il faire ? Faire semblant de ne rien savoir ? Continuer dans la voie de grand guerrier ? Ou bien... changer ? Après tout si ont y réfléchissait bien les grands guerriers qui marquaient l'histoire de leur patte étaient tous pas super sympa pour ne pas dire des gros sadiques. Mais avait-il réellement envie d devenir un grand guerrier au cœur pur et fort ? Ou plutôt marqué l'histoire mais reniait tout sentiments ? Ses interrogations s'affichaient sur son visage. Que faire... Voyant que la guérisseuse ne lui avait pas répondu Nuage Aquatique baissa finalement la tête. Et se yeux rencontrèrent les baies rouges. Ne savant pas ce que c'était il les pris dans sa patte et les déposa à côté des autres plantes. Si il ne les avait pas posé au bon endroit tant pis ! Il ne savait pas ou ça allait et Harmonie des Enfers aurait qu'a y rangée toute seule ! Finalement Nuage Aquatique revint se camper face à elle. Et il murmura sans s'en rendre compte :

- Alors que dois-je devenir ?...

Il releva finalement la tête attendant la réponse de la guérisseuse.

Harmonie patienta sagement, impassible et insensible aux gémissement plaintifs d'un novice qui tremblait devant ses pires cauchemars. Elle ne l'aiderait pas. Ni lui ni les autres. Qu'ils crèvent tous. Un jeune crétin venait juste de la traiter de peureuse. Qui sait ce qu'il imaginait dans sa cervelle de moineau. Qu'elle refusait de combattre ? Qu'elle avait peur ? Lui frémirait devant les plaies saignantes, les spasmes d'une future mère en difficulté, la puanteur de la mort lorsqu'un ancien trépassait dans son sommeil. Elle voyait des maladies ronger l'âme et le corps, des débils aveugles peinant à mémoriser les emplacement des tanières.
Elle voyait toutes ces horreurs, et sur le champ de bataille, elle vivait ça en même temps. Ramasser les blessés, les soigner au mieux pour qu'ils filent flanquer une correction aux crottes de renard d'en face.

Elle se perdit dans diverses réflexions, se demandant pourquoi elles devaient se coltiner des microbes, des chats débiles qui puaient la mort, les maladies et le désespoir. Ils avaient confiance en elle, et elle était incapable de les aider, tout simplement parce qu'elle n'en avait pas l'envie, le désir. Elle voulait les voir mourir, se satisfaire de voir un Clan se vider petit à petit par sa faute.La guérisseuse reconnaissait ses desseins tout particulièrement sombres, mais ils avaient donné un sens à sa vie depuis des lustres. Plus personne aujourd'hui n'était en mesure de la faire changer d'avis, ni jamais d'ailleurs.
Harmonie n'écouta guère les propos du jeune apprenti. Elle aurait pu lui dire qu'elle se mordait les lèvres parce qu'elle avait été cruelle. Qui la croirait puisque ce n'était pas là la vérité. En fait... elle en avait rien à foutre. Ca mérite d'être clair : c'est clair. Elle s'en fout ouvertement, et c'est pas demain la veille qu'elle va s'en cacher.

Ses yeux lancèrent des éclairs au moment où ils croisèrent ceux du novice. Qu'attendait-il pour dégager ? Crever sous la flotte, baignant dans son sang de merde, tout comme son père et sa mère, deux traîtres, deux cons, deux êtres infâmes qui n'avaient pas mérité de naître pour mourir aussi indignement. Finalement, elle allait peut-être pouvoir se débarrasser d'un débile de plus.
Un de moins pour le Clan, un de moins entre ses pattes. Elle y gagnait tout...
L'autre crétin vint devant elle, se dressant sur ses pattes. Etait-il fier ? Imbécile... les noms d'oiseaux fleurissaient sur sa langue mais elle se refusa à les lui cracher. Inutile en plus d'alerter les dormeurs qui viendraient l'emmerder en disant qu'elle cherchait encore des noises à un jeunot.

- Deviens ce que tu veux microbe, j'en ai rien à foutre. Maintenant, tu sauras juste que dans ce monde, il n'y a pas de Bien et de Mal : y a juste les cons, fleurs bleues, faibles, et les forts, endurcis et puissants. Choisis ton camp misérable chaton. Manger ou être mangé. Tuer ou être tué. Régner... ou être dominé.

C'est avec un air de défi qu'elle sortit de son antre, marchant d'un pas assuré et hautain vers la sortie du camp. Deux chats la fixèrent intensément, hésitant entre fuir et ne pas la regarder. Un autre inclina la tête avec respect alors qu'elle lui jetait un regard assassin. Personne ne s'opposa à sa fugue.
Toute façon, s'ils essayaient, c'est eux qui crèveraient. C'était la meilleure saison pour ramasser certaines plantes, autant le faire étant donné que la crotte de souris lui servant d'apprentie ronflait comme une marmotte.
Nuage Aquatique pouvait bien la suivre. Ils ne s'enfoncerait que plus profondément dans les ténèbres, en royaume ennemi : l'empire d'Harmonie, son domaine. Il pouvait bien la suivre, c'est sous son regard qu'il passerait un jour ou l'autre...